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jeudi 4 octobre 2018

PSYCAUSE - Chapitre 1

PSYCAUSE

CHAPITRE 1

*


LE MONDE DES CITES



8H30. Le réveil est difficile, je ne suis pas du matin.
Cet horrible réveil fournit par le centre me casse les oreilles jusqu'à ce que je me décide à me lever pour aller l'éteindre. Une fois le cri strident de l'appareil arrêté je me rassois sur le lit aux ressorts grinçants et plonge mon visage pâle et fatigué dans mes mains. Encore une journée, encore une. Je soupire lourdement, je ne sais pas ce qui va se passer, les jours se ressemblent et se succèdent avec la lenteur de la souffrance. Je me lève avec difficulté et vais rejoindre les autres patients au réfectoire. Les murs des couloirs sont gris, ils n'ont pas été nettoyés depuis la dernière guerre mondiale, au moins. Je rentre au self en pyjama chaussons, de toute façon toutes mes tenues ressemblent à un pyjama. Dans la poche droite de mon haut se tient ma boîte de pilules, une petite boîte cylindrique en plastique orange. Elle fait du bruit quand je marche, c'est presque agaçant. Je vais me servir bien qu'il n'y ait pas grand-chose d'appétissant. Les couverts sont en plastiques au cas où un des patients aurait la joyeuse idée de transformer le self en scène de crime. Je vais m'asseoir à coté de Jessy, c'est une pauvre fille un peu comme moi qui a tenté toutes les manières possibles et imaginables de se suicider, la pauvre y est jamais arrivée apparemment. Je pense surtout qu'on l'a envoyé ici avant qu'elle y arrive.



La bouffe est merdique, cervelle de veau sauce foie de morue. Bon appétit. Je vois la bouillie dans mon assiette et je me dis que même un pauv' gosse affamé mériterait pas ça. Je sors ma boîte à pilule de ma poche. Quatre. Une pour aujourd'hui, une pour demain. Les autres pour faire joli. J'hésite, ça sert à rien de prendre cette pilule, elle est toujours là vous savez. Parfois j'ai envie d'éclater de rire quand je parle avec le psy. Un gars la quarantaine qui me vante à toutes les séances l'efficacité de ce produit. Mais ça servirait pas mes intérêts de le lui dire. Pour pas éveiller les soupçons je dois y aller progressivement. Mais ça fait déjà trois ans ! Trois ans bordel ! J'ai envie de balancer cette boîte si fort et si loin qu'elle pourrait faire le tour de la terre et atterrir dans mon dos. J'attends encore une minute, je réfléchis. Je dois être immunisée à pas mal de choses depuis le temps que je prends cette merde, mais pas à ce pour quoi on me l'a prescrit.



J'ouvre le couvercle avec mon pouce d'un coup sec. C'est devenu une habitude, j'en oublierais presque qu'à forte dose ces petites choses peuvent nous tuer. Je fais rouler une pilule dans ma main gauche, elle est blanche, petite. On pourrait confondre ça avec un tic tac. Je me rends compte à quel point c'est inutile, mais ça fait plaisir aux médecins. Ma vie est devenue du jour au lendemain un cauchemar, et ça fait trois ans que j'ai l'impression d'être morte. Je ne sais plus qui je suis, où je suis, pourquoi tout ça. Elle est là, tout le temps là à me regarder d'un air impassible. C'est presque rassurant de voir que quelqu'un peut nous regarder sans nous juger, si seulement ça pouvait être une personne normale et pas le fruit de tous mes problèmes…



J'avale cette foutue pilule avec mon verre d'eau, je me tourne vers Jessy. Elle est en train de dessiner sur sa serviette, elle a le teint blafard et ses cheveux noir sales lui tombent un peu sur les yeux. Une coquille vide. Une pauvre fille que la vie n'a pas épargnée, et à qui on refuse le repos. Je ne connais pas bien sa vie, mais de ce que j'en sais il n'y a rien qui vous donne envie d'être à sa place. Vaguement je me demande combien de patients dans ce centre ont une histoire similaire. Combien sont détruits par la vie, la société ou bien tout simplement par eux mêmes. Sommes nous vraiment différents les uns des autres au final ? … tout ça n'a aucune importance. Je me lève finalement sans avoir touché mon assiette, seul mon verre est vide. Je remets ma boîte de pilules dans ma poche et retourne sans avoir dit un mot dans ma chambre.



Normalement les patients n'ont pas le droit de rester dans leur chambre en journée, mais comme personne ne vérifie jamais si les pièces sont vides il ne m'est pas difficile de rester dans la mienne. Je m'allonge tranquillement sur le lit et je dors. Dans mon sommeil je ne vois que le noir de l'absence. Parfois j'ai l'impression de marcher, mais jamais sans savoir où je vais. Puis soudain elle apparaît, comme lorsqu'on rencontre un miroir. Mais elle est indépendante, je ne suis pas elle et elle n'est pas moi. Elle ne parle pas. Je la surnomme « Allos », ça veut dire « Autre » en grec. J'ai choisi ce mot parce que j'aime bien le grec et c'est assez court. Je passe un moment à la regarder sans rien dire. Les conversations sont muettes mais pas dénuées de sens. C'est bizarre de parler à ce genre de… « chose ». C'est vous sans l'être, c'est quelqu'un sans l'être. Ce que ça représente je l'ignore. C'est là. Depuis trois ans. Une présence, d'abord dérangeante et puis lorsque tout le monde vous a tourné le dos elle devient rassurante. J'existe, elle aussi et nous sommes seules pour le voir.



Ce soir là devait être comme les autres mais il ne le fut pas. J'avais passé comme à mon habitude la journée éloignée le plus possible du monde. J'avais dormi sans rêve et je m'étais levée aussi fatiguée que le matin, traînant les pieds toujours en pyjama vers le self. On aurait dit que rien avait changé à part le menu. Pieds de porc sauce verte. Je n'avais pas faim. Je m'assis seule à une table dans un coin et sortais cette éternelle boîte à pilules. Trois. Normalement je ne devais en prendre qu'une par jour mais une envie folle me tentait de toutes les avaler et d'en finir une bonne fois pour toutes. Disparaîtrait-elle avec moi ? Je ne m'en souciais pas. J'ouvrais le couvercle avec ce petit bruit habituel, versais les trois pilules blanches dans ma main et préparais mon verre d'eau. Des larmes coulaient le long de mes joues sans que je m'en rende compte. Qu'était devenue cette jeune fille si souriante et forte ? Etait-elle morte avec les derniers espoirs de retrouver un jour une vie normale ? Quelle importance maintenant. L'envie m'était venue aussi vite qu'une envie de pisser. Je n'étais pas comme ça avant, et elle n'existait pas. Je m'apprêtais à franchir le pas, fermais les yeux, ça ne prendrait qu'un instant pour les avaler et un temps infini pour mourir. Soudain j'entendais un cri strident, une femme. Ma main se bloquait devant mes lèvres scellées, j'ouvrais les yeux et une explosion brisa mes derniers instants de folie.





On pourrait croire à un rêve, le souffle de l'explosion ne m'aurait pas balancé au fond de la pièce sans doute n'y aurais-je pas cru. Au loin j'entendais le bruit de mes pilules s'éparpiller au sol, je ne les revis pas. J'avais mal au dos puis au ventre, la douleur ne tarda pas à migrer vers mes bras et mes jambes. Mes idées étaient étonnamment claires. Je tentais de me lever retenant à chaque mouvement un petit cri de douleur. Devant mes yeux s'élevait la salle du self en ruines, le mur qui nous séparait de la cour totalement explosé, plus rien ne me séparait du monde d'autrefois. Les gens autour de moi couraient, hurlaient, rampaient. J'étais debout, immobile, le monde tournait toujours.

Un bruit parvenait à mes oreilles. Désagréable. Une alarme d'incendie. Alors que le monde s'agitait et vivait je me sentais comme hors du temps. Je fixais l'immense ouverture du mur comme la seule chance de m'échapper d'une vie de fantôme. Plus personne ne faisait attention à moi, je n'existais pas. Dans l'agitation générale je percevais un corps étendu au sol, inerte. Jessy. La pauvre enfant avait désormais le regard vitreux, mais son visage ne reflétait que la paix et l'absence. « Envoles-toi Jessy, pars rejoindre ce monde auquel tu aspirais tant. ». Je lui adressais ce dernier message silencieux, au loin. Seul le vent sembla entendre mes mots pensés. Soudain une secousse. Un membre du personnel s'était approché de moi et ne me voyant pas réagir à ses paroles avait cru bon de me secouer comme un prunier. Je retrouvais mes esprits, presque à regret. Pour une fois que je pouvais dormir éveillée. Je tournais la tête dans sa direction, le regard vague.



- Venez avec moi ; me dit un jeune homme que je n'avais jamais vu, sans doute un stagiaire, avec un ton aussi doux que possible ; il faut regagner votre chambre.



- Je… ; je ne veux pas ; je… Jessy.



Je pointais du doigt le cadavre.



Le garçon sembla déboussolé pendant quelques secondes mais répondit rapidement :

- On va s'occuper d'elle ne vous inquiétez pas, venez avec moi.



Non. Pas maintenant. Je ne veux pas continuer à faire semblant de vivre, je ne veux plus de ce traitement inutile, je veux partir. Mon corps bougea plus vite que ma raison. D'un coup sec je retirais mon bras et m'avançais d'un pas rapide vers le mur.



- Où allez-vous… Non revenez vous ne pouvez pas sortir !



Un grand sourire fendit mon visage :



- Ah ? Et pourquoi ça ?



- Eh bien vous… vous êtes une patiente et vous devez rester ici…



- Sinon ?



- Si… Sinon vous aurez des ennuis.



- Les seuls ennuis que j'ai jamais eu c'était ici, alors vous m'excuserez de ne pas vous écouter. Ah et dites à votre cher psy que son médicament miracle c'est vraiment de la merde.



Sur ces derniers mots je m'élançais dans la nuit, il fait froid et humide mais qu'est-ce que c'est bon de se sentir de nouveau vivre.








Je ne sais pas combien de temps j'ai erré, seule dans la nuit et le froid. Je ne sentais même plus mes pieds. Je n'avais pas changé de vêtements, je portais encore ce satané pyjama délavé trop grand pour ma maigre silhouette. Je réalisais soudain à quel point j'avais oublié comment était le monde réel, le dehors. Pendant ces trois dernières années, je n'avais pu profiter de l'air extérieur que dans des cours bétonnées et quadrillées. Ressentir le monde comme lorsqu'on découvre pour la première fois la texture d'une chose qui nous était jusqu'alors inconnue. L'impression de renaître après des années de semi-mort, je ne savais pas que ça pouvait être si incroyable de naître, de vivre. Je m'arrêtais quelques instants sur le bord d'une route déserte, humais à plein nez toutes les odeurs qui se trouvaient dans les parages. L'air était agréablement froid, il me piquait les poumons et les narines. Tout me semble alors si pure, si innocent. La moi d'avant ne s'était jamais attardée sur des choses si insignifiantes, si communes. Respirer est la chose la plus naturelle du monde et pourtant à cet instant précis j'avais l'impression de le faire pour la première fois. Mais bientôt cet instant de paix et de sérénité se transforma en questionnement. « Et maintenant ? ». Je levais la tête, le ciel était noir, couvert. Il n'était pas encore bien tard mais il ne faisait pas chaud. Je devais trouver un endroit pour passer la nuit, au moins. Je continuais ma route encore et encore. Je ne sais pas combien de temps j'ai marché, je sais simplement que j'ai fini par arriver dans une ville. Discrètement je me glissais dans une rue sombre, avançais encore un peu et fini par tomber dans une impasse. Là se trouvait de grands conteneurs d'ordures. Je fouillais dedans, trouvais des horreurs autant par l'odeur que par la vue et le toucher et fini par découvrir des débris de cartons assez grand pour me servir de couverture et de toit. Enfin je me glissais derrière l'un des conteneur, coinçais un bout de carton au dessus de ma tête et m'endormis jusqu'au petit matin dans une position mi-assise mi-accroupi.



Je fus réveillée par des aboiements sonores. J'avais dormi, vraiment dormi. Je n'avais pas rêvé mais elle n'était pas venu gâcher mon sommeil. Je me réveillais étrangement bien malgré les courbatures dues à ma position de sommeil. Je me levais non sans mal et me tapais les fesses pour me débarrasser de potentielles choses collantes et crades du derrière. Je retirais le carton que j'avais calé au dessus de ma tête et réalisais qu'il était légèrement humide, il devait avoir plu un peu avant le lever du soleil. La ville semblait encore calme et endormie. Je regardais autour de moi, aucune trace de chien. Mon ventre se manifesta soudain par un bruyant gargouillement. Ah oui c'est vrai, je n'ai rien mangé la veille. Là encore une chose nouvelle refaisait surface, la faim. Depuis combien de temps n'avais-je pas ressentis l'envie de manger ? Mais comment faire, j'étais seule, sale et sans argent. Malgré ma situation quelque peu désespérée je ressentais au plus profond de moi une excitation qui maintenait tous mes sens en éveil. La joie ? La peur ? Les deux ? Autre chose ? Allez savoir. Je me dirigeais de manière hasardeuse entre les rues, ne trouvant sur mon chemin que des ordures et des hommes à demi-mort d'avoir trop bu. Les rares magasins des quartiers étaient fermés et quand bien même qu'aurais-je pu y faire ? Je me posais la question en marchant de savoir si je pouvais oser voler quelque chose sans me faire prendre.



Moi et ma belle éducation. Une des rares choses qui n'a pas disparu de mon ancienne personnalité. La timidité d'abord, et ensuite la réserve. Même dans cet accoutrement je me sentais comme les autres, un simple être humain déambulant dans les rues. Je m'arrêtais. Non c'est faux, je ne suis pas comme les autres, pour eux je suis folle. Je peux donc me permettre d'avoir un comportement bizarre et de faire des choses hors cadre sociale hein ? Oh et puis au diable les questions à la con de bonne éducation. Je me remettais à marcher d'un pas lent. J'ai faim. Très faim. Comme si je n'avais pas mangé depuis des mois, ou même des années. C'est à la fois douloureux et réconfortant. Je suis bien vivante, je ne pense pas que les morts aient besoin de manger.

Bientôt j'arrivais dans un quartier plus joli, plus grand et plus animé. Une heure ou deux avait dû s'écouler depuis mon réveil. Certaines boutiques commençaient timidement à ouvrir leur rideaux de fer, mais il faudrait encore attendre pour qu'elles soient réellement ouvertes. En réfléchissant je me disais que je ne connaissais pas ces quartiers, ou du moins ils ne me disaient rien. Je devais être dans une ville inconnue. Génial en plus d'être fauchée et à la rue je me retrouvais dans une ville que je ne connaissais pas. Comme quoi on finit par croire que tout à un prix en ce bas monde, même et surtout la liberté. Faute de chance de trouver la richesse sur la route je contemplais le paysage qui s'offrait à moi, j'apprenais et retenais les enseignes au cas où. Juste par précaution ou les plus marrantes, je m'occupais pour oublier le cri de mon estomac. Au bout d'un moment j'atterrissais finalement en face d'une église, assez imposante et je décidais, épuisée, de m'arrêter quelques instants sur les marches. De rares passants me lançaient des coups d'oeil, intrigués ou méfiants. Je me sentais seule et me recroquevillais sur moi même. J'enfonçais la tête dans mes genoux, fermais les yeux pour oublier lorsqu'une voix au dessus de moi me tira de mes pensées. Je levais la tête et vit une vieille dame aux traits doux et marqués me parler :



- Eh bien ma petite qu'est-ce que tu fais ici toute seule à cette heure et dans cette tenue ?



Déconcertée que l'on vienne si franchement me parler, je balbutiais maladroitement :



- Heu… je… heu… je suis nouvelle ici et… et… je… n'ai pas d'argent.



- Oh mais il ne faut pas rester comme ça voyons, viens avec moi.



Le Karma ?



- Non ! Enfin je veux dire… je vous remercie mais je… ne vous dérangez pas.



- Allez allez pas de chichi, tiens je reviens du marché elle sont toutes fraîches !



Elle me tendit un sac remplit de pommes vertes. J'en pris une, une seule. La gentillesse est une chose que j'avais oublié, je pensais que les gens étaient juste des égoïstes, moi y compris.



- Merci beaucoup.



- Une seule ? Tu ne vas jamais tenir une journée entière avec une pomme ! Prends en d'autres.



Elle me tendit une nouvelle fois son sac.

Je la regardais avec attention. Elle portait un vieux pull gris chiné ample avec une longue jupe marron et un grand châle en laine pourpre. Ces chaussures noires avaient mal vieillis et un verre de ces lunettes était cassé. Une femme dans tout ce qu'il y a de plus simple et de plus beau. Un cœur chaud. Je voulais la serrer dans mes bras, mais je ne le ferai pas.



- Madame gardez ces pommes, vous en avez sans doute plus besoin que moi et votre gentillesse vaut bien plus que toutes les pommes de ce marché.



Ça ne me ressemble pas de sortir ce genre de phrase à la noix. Mais c'est sorti tout seul. Moi aussi j'ai un cœur ?



La dame parut émue, elle me fit un sourire encore plus grand et rangea son sac de pommes avec le reste de ses courses. A la place elle me tendit un billet.



- Acceptes au moins ça ma petite, c'est un don du ciel que j'ai trouvé par terre en revenant. Je ne savais pas pourquoi je l'avais trouvé ni ce que j'allais en faire, mais je suppose que je devais croiser ta route pour te le donner.



J'en restais bouche ouverte. J'hésitais entre la croire sincèrement ou la traiter de mytho. Je me souvins assez vite que je n'avais rien avec moi et que refuser cet argent était du grand n'importe quoi. Je pris le billet avec moi. 20€. J'étais riche pour une heure. La vieille dame repartit avec toujours son grand sourire et son verre cassé. Je finissais ma pomme avec délectation. Je pouvais la croire pour la fraîcheur de ses pommes au moins.



20€. ça devrait être une fortune. Foutaises, on s'achète quoi avec 20 euros ? Plus rien. Aujourd'hui c'est un miracle que les gens arrivent à se nourrir tous les jours. Je restais encore un peu assise sur les marches en pierres, dans le froid mordant du matin levant. Je réfléchissais sur le moment présent, un certain bien être m'étreignait. Malgré le froid insistant qui parcourait les rues de la ville je réalisais que je n'avais pas besoin de penser trop loin dans le temps. Puis de toute façon ça ne veut rien dire. Personne ne vit dans le présent, on ne nous parle jamais du présent. On parle du passé, soit en bien soit en mal. On nous parle du futur comme d'un but à atteindre. Mais le présent… plus personne ne sait ce que c'est. J'ai eu envie d'en finir, mais jamais je n'ai remis en question ces bases de notre fonctionnement. J'ai envie de pleurer ce temps perdu et en même temps de courir loin, si loin pour vivre enfin, ressentir l'instant de vie et de liberté. Je humais l'air avant de prendre appuis sur mes pieds. Je me tapais les fesses et repartais en exploration d'un endroit à la fois si familier et si inconnu. J'avais toute la vie pour décider de ce que j'allais faire, de ce que j'allais devenir. J'étais morte et ressuscitée, qui s'inquiéterait de ma disparition du centre ? J'étais en vie, et seule.





La matinée passa très vite, je marchais de rue en rue, regardant tantôt mes pieds tantôt les alentours. La vue était d'un banal à mourir. De grands bâtiments sans âme, de grandes tours de verres aussi vide que ciel et des HLM à perte de vue. Encore et encore et encore des murs gris, des graffitis d'insultes, des poubelles à moitié crevées le long des allées, des gens qui vous ignorent… Le monde est donc si vide de sens lui aussi ? Ou sont les belles forêts des livres d'enfants ? Ou sont les rires, les sourires et les chants ? Le monde est d'un triste, les villes sont des ventres géants qui avalent l'espoir des gens. Travail, argent, travail, argent, travail… et ce jusqu'à la mort. Voilà l'impression de cette ville, voilà l'impression de mon ancienne vie. Non j'en suis sûre à présent je ne suis pas folle, c'est le monde. Et moi au milieu parmi eux, je vois désormais ce que je n'avais jamais pu voir auparavant. Grâce à elle, à cause d'elle ? Ça n'a plus d'importance. Comment est-ce tout ça a pu arriver ? Bientôt j'arrivais à l'angle d'une grande avenue, là un bouchon impressionnant de voitures. Des klaxons, des hurlements de gens en colères, pressés, fatigués. De la fumée noire sortait de quelques pots d'échappement. Je n'y faisais que peu attention. Ce n'était plus une chose qui m'importait. Je passais soudain devant une vitre sans tain, mon regard croisant le sien je m'arrêtais. Je ne pouvais plus bouger, happée par une force calme et silencieuse. L'obscurité s'étendait soudainement tout autour de moi. J'entendais une voix. D'abord faible, presque inaudible comme le mur d'une goutte d'eau. Puis lentement la voix s'amplifiait.



« Entends...Entends...Entends...Entends...Entends...moi... »



Voix familière. Étrangement similaire… à la mienne. Je me tenais toujours face à mon reflet, qui n'avait plus rien d'un reflet. Une personne semblable à moi mais parfaitement indépendante de ses mouvements et de ses mots, elle me souriait et me répétait inlassablement « Entends ». ça n'a aucun sens. Je ne suis pas folle… non ça ne peut pas. Ça fait si longtemps qu'elle est auprès de moi, je m'étais habituée à sa présence mais jamais je ne l'avais entendue. D'un coup me voilà replongée dans l'instant présent. Une femme visiblement pressée et très occupée me bouscule violemment et ne s'arrête même pas pour s'excuser. Je détourne la tête et la vois tourner l'angle de la rue avec son téléphone à l'oreille. Combien de temps s'est-il écoulé ? Aucune idée. Désorientée je tente comme je le peux de reprendre mes esprits. Je me souviens où je suis , pourquoi comment et le froid. Un gargouillement sonore de mon estomac me rappelle que je n'ai dans celui-ci qu'une pauvre pomme depuis le début de la journée et qu'il ne s'en contentera définitivement pas. Je cherche du regard dans les alentours un café ou je pourrai dépenser mon petit billet toujours froissé dans la poche de mon haut. Quelques secondes me suffisent pour apercevoir l'enseigne intitulé « Le Café de la Rue ». Un nom évocateur, j'y dirige mes pas.


Je rentrais timidement dans la boutique et une jeune serveuse m'accueillit chaleureusement depuis le comptoir. Elle m'expliqua comment le café fonctionnait et me parla rapidement des choix de boissons. Je commande un grand café au lait avec supplément chantilly. La jeune fille me sourit gentiment et enregistre mon choix. « Sept euros vingt s'il vous plait ». Je lui tend mon billet de vingt un peut gêné lui expliquant je n'ai pas de monnaie. Encore une fois très gentiment la serveuse me sourit et me répond qu'il n'y pas de problème. Je me retrouve avec un billet de dix et de la monnaie sur trois euros quatre-vingts. Je m'assoies à une table près d'une fenêtre et attends patiemment mon café. C'est bizarre. J'avais presque oublié comment c'était de ce rendre dans un lieu public comme un café. J'avais oublié ce que c'était d'être traitée comme un simple être humain et plus comme une anomalie. Une vie normale… je n'en aurai jamais plus. La jeune fille arriva très vite et me posa délicatement le café recouvert d'une énorme couche de chantilly saupoudrée de cacao. Ce n'était pas grand-chose mais ça me tiendrait l'estomac pour un petit moment. Je me délectais et dégustais cette boisson comme un suce un bonbon. Mon dieu que c'est bon, sentir le sucré et doux de la chantilly fondre dans ma bouche, remplacé quelques secondes après par le liquide chaud et laité du café. Un mélange si réconfortant de tendresse, j'avais envie de pleurer. Je me remémorais ces dernières années une fois de plus, ces cadres froids et hostiles, les médecins et aides soignantes si distantes. Je me souviens des autres patients, à moitié fou, ou à moitié mort ou même les deux. Les repas infects et sans goût de l'hôpital puis du centre. Tout ces souvenirs si douloureux balayés en un instant par un café et un sourire… ça m'avait vraiment manqué de vivre.

Je prenais mon temps pour finir mon café, quelques tables plus loin certains clients me lançaient des regards curieux, parfois méfiants ou hostiles. Ma tenue ne devait pas franchement les inspirer. Je ne pouvais pas vraiment leur en vouloir tant j'aurai pu être à leur place. Je portais toujours mon horrible pyjama blanc et gris tâché de boue et d'autres choses, j'étais pieds nus mes cheveux sales et pendant, mon teint pâle et mes cernes ainsi que mon corps maigri de force après ces années de torture… Oui je ne devais sans doute ne pas être très belle à voir. Qu'importe, mon apparence ne comptais plus pour le moment, je ne faisais de mal à personne et j'avais payé ma consommation. Laissez moi tranquille, voilà ce que je voulais dire à tous ces regards jugeurs. Je passais près d'une heure et demi dans le café, en partant je remerciais le plus chaleureusement possible cette aimable serveuse et repartais vers une destination inconnue.



De retour dans le froid et le gris de la ville, je ne savais pas par où diriger mes pas. Les panneaux m'indiquaient des lieux qui ne me disaient rien, J'optais finalement pour la direction d'un parc naturel. Un quart de marche plus tard je m'asseyais sur un banc, un peu à l'abri du temps. Comme si le ciel avait prévu cette farce, la pluie ne tarda pas à arriver. Je me recroquevillais comme je le pouvais mais je finis tout de même par me réfugier sous un porche. Là je m'accroupis en soupirant. Avec un peu de chance il s'arrêterait de pleuvoir assez tôt pour que je trouve un coin pour passer la nuit. Il était encore tôt dans l'après-midi, peut-être seize ou dix-sept heure mais je ne voulais pas prendre le risque de passer la nuit à la belle étoile. Mais la pluie ne s'arrêtait pas, pire encore elle semblait s'intensifier de minute en minute. Je commençais à perdre un peu espoir, je somnolais un peu, la faim et le froid n'aidant pas. Je fus réveillé brusquement par un bruit de pas lourd et un claquement de vêtements mouillés. Je levais la tête un peu sonnée et apercevais un homme, plutôt grand habillé de la tête au pieds en noir, assez glauque. Il portait un bob étanche noir lui aussi et une paire de lunette ronde… noire. On se serait cru dans un jeu vidéo bizarre ou dans un film américain. Vous savez le genre de type qui sonne à votre porte pour vous annoncer la fin du monde ou un truc du genre. Je détournais la tête et me serrais dans la direction opposée, avec un peu de chance il ne m'avait pas vu.



« Vous allez attraper froid à rester assise par terre dans cette tenue. »



(Zut). Il m'avait bel et bien remarqué. Je ne savais pas quoi répondre, alors je préférais ne rien dire. Il finirait bien par partir.



« Qu'est-ce qu'une jeune femme fais toute seule dans un parc, habillé d'un simple pyjama ? »



Sa voix était grave et posée. Plutôt belle. Mais je ne savais pas quoi dire, je cherchais une réponse assez satisfaisante pour qu'il me laisse tranquille mais je ne savais pas quoi. « Hey bonjour alors oui je sais ma tenue est un peu bizarre, m'en voulez pas je sors d'un asile. ». Mouais… non moyen comme idée pour passer inaperçue. Voyant que je ne disais toujours rien, l'inconnu sortit un paquet de clopes et en alluma une.



« Généralement quand les gens ne répondent pas c'est qu'ils ont un truc à cacher. »



« Laissez-moi ». C'était sorti tout seul.



« Aah, alors la demoiselle sait parler on avance. »



« Laissez-moi ! ». Je me recroquevillais encore un peu sur moi, je ne savais pas quoi faire ni ce qu'il voulait, la peur commençait à me monter à la gorge.



« Hey, n'ais pas peur comme ça je ne vais te manger. »



« Vous ne m'inspirez pas confiance. ». Ok j'y étais allée un peu fort, mais c'était la vérité.



Il éclata de rire. Un rire grave et franc.



« C'est la première fois qu'on me dis ça aussi franchement ! Tu n'es pas d'ici toi hein ? »



« ça ne vous regarde pas. »



« Et si ça me regardait tu me le dirais? »



« C'est idiot comme question. »



« Hmm oui c'est vrai mais je suis de nature curieux et tenace, tu devrais parler ça te ferait du bien. »



« Je ne dis pas de choses personnelles à des inconnus. »



«  Oh. Oui c'est compréhensible. Mais ne t'en fais pas tu n'as pas besoin de me dire quoique se soit, j'en sais assez comme ça. »



« Qu'est-ce vous voulez dire ? ». Je levais la tête vers lui soudain intriguée par sa dernière réponse.



Il sourit, un sourire sombre et incroyablement mystérieux.



« Daniella Vinelli, 26 ans, 1m68, né le 26 avril 19XX, envoyé à l'hôpital psychiatrique Wollfork pendant deux ans puis à Wellow Down un an avant de disparaître mystérieusement de celui-ci avant-hier soir. »



J'en reste bouche ouverte. Comment c'est possible ça ? C'est une blague ! C'est qui ce type et comment il sait tout ça ? La peur m'envahit, et si c'était quelqu'un envoyé pour me ramener au centre ? Jamais ! Je préfère encore mourir de faim et de froid que de revivre tout ça. Les larmes me montent aux yeux, je veux m'enfuir. Non, je le dois, question de survie temporaire. Je me lève aussi vite que je peux et commence à courir. Je cours à en perdre halène, comme si ma vie en dépendait. Ce n'est pas totalement faux. Je trébuche, tombe et me relève en un fraction de seconde. Une fraction trop tard. L'homme m'a couru après, il m'attrape et me serre contre lui je ne peux plus bouger.



« N'ai pas peur Daniella, je ne te ramènerai pas là-bas. »



Mensonges.



« Vous mentez !! Comment pouvez-vous me connaître si vous n'êtes pas de chez eux ?! »



« Si tu me suis je t'expliquerai tout je te le promet. »



« Non je ne veux pas !! je ne veux pas ! »



Je tente par tous les moyens de me défaire de son emprise, mais je suis une mouche engluée dans une toile d'araignée. Il est fort, grand et je suis épuisée. Au bout d'un moment j'abandonne, respire bruyamment pour retrouver un rythme cardiaque à peu près normal.



« C'est bon tu t'es calmée ? ». Sa voix est froide, agacée.



J'ai envie de le gifler, si je ne me trouvais pas dos à lui c'est ce que j'aurais fait.



« Lâchez-moi. »



« Je ne vais pas prendre le risque. »



Malgré moi je laisse échapper un petit rire grinçant. Il pleut toujours, je suis trempée mais ça n'a aucune importance. Je ne sens plus mes pieds… je suis épuisée.

Lentement je m'affale contre l'inconnu, j'ai du mal à respirer. Il me soulève et je finis en mode princesse dans ses bras. Je suis sale je pue et suis trempée, adieu scène romantique. Boh puis de toute façon je le connais pas.



« On va aller se mettre à l'abri ok ? »



« Si vous espérez que je vous donne mon accord… allez vous faire...voir... »



« Méfiante jusqu'au bout hein… Rassures-toi ce n'est pas moi qui est décidé tout seul, je pense que tu seras heureuse de savoir que des gens t'observe depuis un moment. »



C'était sensé me rassurer ça ? Parce-qu'il vient de rajouter une couche d'angoisse.



« Quoi ? »



« Rien oublie ».



Alors qu'il commence à marcher me trimballant toujours dans ses bras, je puise dans mes dernières forces pour m'éjecter de son emprise. Nous tombons tous les deux par terre, je l'entends jurer et en profite pour filer. Cette fois je constate avec soulagement qu'il ne me suit pas. Mais ça ne me rend pas tranquille pour autant. Moi qui avait pensé être libérée j'apprends qu'on m'observe depuis tout ce temps… Sérieux c'est flippant, mais à part ça c'est moi la folle dans l'histoire ? J'aurai presque envie de rire. Après avoir longtemps tourné en rond je finis par trouver un pont. Oui bon c'est pas terrible mais les arches me protèges de la pluie et il reste quelques cartons d'un précédent passage. Je me couvre autant que je peux et me prépare à passer une nuit courte et sans rêve.



Mon sommeil fut périodique et désastreux. Je me levais avec des courbatures partout après avoir passé la nuit à somnoler et me réveiller . Le froid mordant était toujours présent mais un soleil brillant naissait à l'horizon. Il allait faire beau. Je repensais à cette drôle de rencontre hier aprem et plus j'y pensais plus je trouvais que la coïncidence entre mon arrivée et cette rencontre n'avait rien de hasardeux. La faim me rappela me état pitoyable de mendiante. Mes vêtements étaient encore froids et humides et un rhume commençait gentiment à me chatouiller les narines. Je passais encore deux jours à dormir sous ce vieux pont. La journée je restais dans les alentours et fouillais les poubelles ou mendiait un euro ou deux à quelques passants.

Le lendemain de mon troisième jour sous mon nouveau toit je réalisais avec fatigue et anxiété que je devrais sans doute changer d'endroit avant qu'un autre homme bizarre débarque pour m'emmener je ne sais où. Je reprenais ma route avec un carton assez grand pour servir de couverture. Les nuits étaient froides mais lentement elles devenaient moins mordantes. Mes pieds étaient rouges, presque violets, le froid avaient fini par avoir raison d'eux. Qu'importe je devais avancer. Je marchais le long des rues sales et mornes croisant les vies de dizaines d'inconnus que je ne reverrai sans doute jamais, et croisant à l'occasion mon reflet dans les vitres des boutiques du quartier. Pauvre chose si faible et si sale. C'était moi, et en même temps je savais que derrière cette image imaginaire se trouvait une autre personne. D'ailleurs ça faisait plusieurs jours que je ne l'avais pas vu ni qu'elle ne s'était manifestée. Ce silence de présence coïncidait là aussi étrangement avec ma rencontre avec cet inconnu vêtu de noir. J'ignorais tout du monde, de moi et de l'avenir. Envie de pleurer, à quoi bon pleurer ? Les jours heureux ne reviendront pas. Je suis seule, tellement seule. Je renifle malgré moi, le rhume aidant sans doute à rendre mon apparence plus misérable encore. Mais j'avance tout de même, je cherche et finis par m'installer dans une petite impasse, pas assez loin du pont mais assez loin du parc. Demain j'essaierai d'aller ailleurs, de changer de ville et tant pis si je dois passer trois jours à dormir sur la route. Je m'abreuverai de la pluie et des ruisseaux alentours. Je survivrai. C'est étonnant. Est-ce vraiment moi qui souhaite survivre ? Je ne sais plus où j'en suis.



« Et si tu prenais ma place Allos, qui me regretterait ? Peut-être que tu mérites plus que moi de vivre dans ce monde. »



Accroupi sur mon carton, j'enfouis ma tête dans mes genoux. Je suis folle, folle et seule. Un beau mélange. Si j'étais restée là-bas, j'aurais continué à prendre ces foutus pilules, j'aurais continué à dormir toute la journée, à ne plus savoir ce que c'était que d'avoir faim ni à quoi ressemble un brin d'herbe. J'aurais sombré dans la folie du désespoir et j'aurais fini par me pendre dans ma chambre avec les draps du lit. C'était un fin plausible, presque réconfortante. « Je ne suis pas si forte Allos, pas autant que toi. ». Au fond de moi je savais, seule je n'aurais jamais pu partir. Dans la ville des cités, les sanglots d'une âme perdue dans les méandres du désespoir résonnaient entre les immeubles.

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