PSYCAUSE
CHAPITRE 1
*
LE MONDE DES CITES
8H30.
Le réveil est difficile, je ne suis pas du matin.
Cet horrible réveil fournit par le centre me casse les oreilles jusqu'à ce que je me décide à me lever pour aller l'éteindre. Une fois le cri strident de l'appareil arrêté je me rassois sur le lit aux ressorts grinçants et plonge mon visage pâle et fatigué dans mes mains. Encore une journée, encore une. Je soupire lourdement, je ne sais pas ce qui va se passer, les jours se ressemblent et se succèdent avec la lenteur de la souffrance. Je me lève avec difficulté et vais rejoindre les autres patients au réfectoire. Les murs des couloirs sont gris, ils n'ont pas été nettoyés depuis la dernière guerre mondiale, au moins. Je rentre au self en pyjama chaussons, de toute façon toutes mes tenues ressemblent à un pyjama. Dans la poche droite de mon haut se tient ma boîte de pilules, une petite boîte cylindrique en plastique orange. Elle fait du bruit quand je marche, c'est presque agaçant. Je vais me servir bien qu'il n'y ait pas grand-chose d'appétissant. Les couverts sont en plastiques au cas où un des patients aurait la joyeuse idée de transformer le self en scène de crime. Je vais m'asseoir à coté de Jessy, c'est une pauvre fille un peu comme moi qui a tenté toutes les manières possibles et imaginables de se suicider, la pauvre y est jamais arrivée apparemment. Je pense surtout qu'on l'a envoyé ici avant qu'elle y arrive.
Cet horrible réveil fournit par le centre me casse les oreilles jusqu'à ce que je me décide à me lever pour aller l'éteindre. Une fois le cri strident de l'appareil arrêté je me rassois sur le lit aux ressorts grinçants et plonge mon visage pâle et fatigué dans mes mains. Encore une journée, encore une. Je soupire lourdement, je ne sais pas ce qui va se passer, les jours se ressemblent et se succèdent avec la lenteur de la souffrance. Je me lève avec difficulté et vais rejoindre les autres patients au réfectoire. Les murs des couloirs sont gris, ils n'ont pas été nettoyés depuis la dernière guerre mondiale, au moins. Je rentre au self en pyjama chaussons, de toute façon toutes mes tenues ressemblent à un pyjama. Dans la poche droite de mon haut se tient ma boîte de pilules, une petite boîte cylindrique en plastique orange. Elle fait du bruit quand je marche, c'est presque agaçant. Je vais me servir bien qu'il n'y ait pas grand-chose d'appétissant. Les couverts sont en plastiques au cas où un des patients aurait la joyeuse idée de transformer le self en scène de crime. Je vais m'asseoir à coté de Jessy, c'est une pauvre fille un peu comme moi qui a tenté toutes les manières possibles et imaginables de se suicider, la pauvre y est jamais arrivée apparemment. Je pense surtout qu'on l'a envoyé ici avant qu'elle y arrive.
La
bouffe est merdique, cervelle de veau sauce foie de morue. Bon
appétit. Je vois la bouillie dans mon assiette et je me dis que même
un pauv' gosse affamé mériterait pas ça. Je sors ma boîte à
pilule de ma poche. Quatre. Une pour aujourd'hui, une pour demain.
Les autres pour faire joli. J'hésite, ça sert à rien de prendre
cette pilule, elle est toujours là vous savez. Parfois j'ai envie
d'éclater de rire quand je parle avec le psy. Un gars la quarantaine
qui me vante à toutes les séances l'efficacité de ce produit. Mais
ça servirait pas mes intérêts de le lui dire. Pour pas éveiller
les soupçons je dois y aller progressivement. Mais ça fait déjà
trois ans ! Trois ans bordel ! J'ai envie de balancer cette
boîte si fort et si loin qu'elle pourrait faire le tour de la terre
et atterrir dans mon dos. J'attends encore une minute, je réfléchis.
Je dois être immunisée à pas mal de choses depuis le temps que je
prends cette merde, mais pas à ce pour quoi on me l'a prescrit.
J'ouvre
le couvercle avec mon pouce d'un coup sec. C'est devenu une habitude,
j'en oublierais presque qu'à forte dose ces petites choses peuvent
nous tuer. Je fais rouler une pilule dans ma main gauche, elle est
blanche, petite. On pourrait confondre ça avec un tic tac. Je me
rends compte à quel point c'est inutile, mais ça fait plaisir aux
médecins. Ma vie est devenue du jour au lendemain un cauchemar, et
ça fait trois ans que j'ai l'impression d'être morte. Je ne sais
plus qui je suis, où je suis, pourquoi tout ça. Elle est là, tout
le temps là à me regarder d'un air impassible. C'est presque
rassurant de voir que quelqu'un peut nous regarder sans nous juger,
si seulement ça pouvait être une personne normale et pas le fruit
de tous mes problèmes…
J'avale
cette foutue pilule avec mon verre d'eau, je me tourne vers Jessy.
Elle est en train de dessiner sur sa serviette, elle a le teint
blafard et ses cheveux noir sales lui tombent un peu sur les yeux.
Une coquille vide. Une pauvre fille que la vie n'a pas épargnée, et
à qui on refuse le repos. Je ne connais pas bien sa vie, mais de ce
que j'en sais il n'y a rien qui vous donne envie d'être à sa place.
Vaguement je me demande combien de patients dans ce centre ont une
histoire similaire. Combien sont détruits par la vie, la société
ou bien tout simplement par eux mêmes. Sommes nous vraiment
différents les uns des autres au final ? … tout ça n'a
aucune importance. Je me lève finalement sans avoir touché mon
assiette, seul mon verre est vide. Je remets ma boîte de pilules dans
ma poche et retourne sans avoir dit un mot dans ma chambre.
Normalement
les patients n'ont pas le droit de rester dans leur chambre en
journée, mais comme personne ne vérifie jamais si les pièces sont
vides il ne m'est pas difficile de rester dans la mienne. Je
m'allonge tranquillement sur le lit et je dors. Dans mon sommeil je
ne vois que le noir de l'absence. Parfois j'ai l'impression de
marcher, mais jamais sans savoir où je vais. Puis soudain elle
apparaît, comme lorsqu'on rencontre un miroir. Mais elle est
indépendante, je ne suis pas elle et elle n'est pas moi. Elle ne
parle pas. Je la surnomme « Allos », ça veut dire
« Autre » en grec. J'ai choisi ce mot parce que j'aime
bien le grec et c'est assez court. Je passe un moment à la regarder
sans rien dire. Les conversations sont muettes mais pas dénuées de
sens. C'est bizarre de parler à ce genre de… « chose ».
C'est vous sans l'être, c'est quelqu'un sans l'être. Ce que ça
représente je l'ignore. C'est là. Depuis trois ans. Une présence,
d'abord dérangeante et puis lorsque tout le monde vous a tourné le
dos elle devient rassurante. J'existe, elle aussi et nous sommes
seules pour le voir.
Ce
soir là devait être comme les autres mais il ne le fut pas. J'avais
passé comme à mon habitude la journée éloignée le plus possible
du monde. J'avais dormi sans rêve et je m'étais levée aussi
fatiguée que le matin, traînant les pieds toujours en pyjama vers
le self. On aurait dit que rien avait changé à part le menu. Pieds
de porc sauce verte. Je n'avais pas faim. Je m'assis seule à une
table dans un coin et sortais cette éternelle boîte à pilules.
Trois. Normalement je ne devais en prendre qu'une par jour mais une
envie folle me tentait de toutes les avaler et d'en finir une bonne
fois pour toutes. Disparaîtrait-elle avec moi ? Je ne m'en
souciais pas. J'ouvrais le couvercle avec ce petit bruit habituel,
versais les trois pilules blanches dans ma main et préparais mon
verre d'eau. Des larmes coulaient le long de mes joues sans que je
m'en rende compte. Qu'était devenue cette jeune fille si souriante
et forte ? Etait-elle morte avec les derniers espoirs de
retrouver un jour une vie normale ? Quelle importance
maintenant. L'envie m'était venue aussi vite qu'une envie de pisser.
Je n'étais pas comme ça avant, et elle n'existait pas. Je
m'apprêtais à franchir le pas, fermais les yeux, ça ne prendrait
qu'un instant pour les avaler et un temps infini pour mourir. Soudain
j'entendais un cri strident, une femme. Ma main se bloquait devant
mes lèvres scellées, j'ouvrais les yeux et une explosion brisa mes
derniers instants de folie.
On
pourrait croire à un rêve, le souffle de l'explosion ne m'aurait
pas balancé au fond de la pièce sans doute n'y aurais-je pas cru.
Au loin j'entendais le bruit de mes pilules s'éparpiller au sol, je
ne les revis pas. J'avais mal au dos puis au ventre, la douleur ne
tarda pas à migrer vers mes bras et mes jambes. Mes idées étaient
étonnamment claires. Je tentais de me lever retenant à chaque
mouvement un petit cri de douleur. Devant mes yeux s'élevait la
salle du self en ruines, le mur qui nous séparait de la cour
totalement explosé, plus rien ne me séparait du monde d'autrefois.
Les gens autour de moi couraient, hurlaient, rampaient. J'étais
debout, immobile, le monde tournait toujours.
Un
bruit parvenait à mes oreilles. Désagréable. Une alarme
d'incendie. Alors que le monde s'agitait et vivait je me sentais
comme hors du temps. Je fixais l'immense ouverture du mur comme la
seule chance de m'échapper d'une vie de fantôme. Plus personne ne
faisait attention à moi, je n'existais pas. Dans l'agitation
générale je percevais un corps étendu au sol, inerte. Jessy. La
pauvre enfant avait désormais le regard vitreux, mais son visage ne
reflétait que la paix et l'absence. « Envoles-toi Jessy, pars
rejoindre ce monde auquel tu aspirais tant. ». Je lui adressais
ce dernier message silencieux, au loin. Seul le vent sembla entendre
mes mots pensés. Soudain une secousse. Un membre du personnel
s'était approché de moi et ne me voyant pas réagir à ses paroles
avait cru bon de me secouer comme un prunier. Je retrouvais mes
esprits, presque à regret. Pour une fois que je pouvais dormir
éveillée. Je tournais la tête dans sa direction, le regard vague.
-
Venez avec moi ; me dit un jeune homme que je n'avais jamais vu,
sans doute un stagiaire, avec un ton aussi doux que possible ;
il faut regagner votre chambre.
-
Je… ; je ne veux pas ; je… Jessy.
Je
pointais du doigt le cadavre.
Le
garçon sembla déboussolé pendant quelques secondes mais répondit
rapidement :
-
On va s'occuper d'elle ne vous inquiétez pas, venez avec moi.
Non.
Pas maintenant. Je ne veux pas continuer à faire semblant de vivre,
je ne veux plus de ce traitement inutile, je veux partir. Mon corps
bougea plus vite que ma raison. D'un coup sec je retirais mon bras et
m'avançais d'un pas rapide vers le mur.
-
Où allez-vous… Non revenez vous ne pouvez pas sortir !
Un
grand sourire fendit mon visage :
-
Ah ? Et pourquoi ça ?
-
Eh bien vous… vous êtes une patiente et vous devez rester ici…
-
Sinon ?
-
Si… Sinon vous aurez des ennuis.
-
Les seuls ennuis que j'ai jamais eu c'était ici, alors vous
m'excuserez de ne pas vous écouter. Ah et dites à votre cher psy
que son médicament miracle c'est vraiment de la merde.
Sur
ces derniers mots je m'élançais dans la nuit, il fait froid et
humide mais qu'est-ce que c'est bon de se sentir de nouveau vivre.
–
Je
ne sais pas combien de temps j'ai erré, seule dans la nuit et le
froid. Je ne sentais même plus mes pieds. Je n'avais pas changé de
vêtements, je portais encore ce satané pyjama délavé trop grand
pour ma maigre silhouette. Je réalisais soudain à quel point
j'avais oublié comment était le monde réel, le dehors. Pendant ces
trois dernières années, je n'avais pu profiter de l'air extérieur
que dans des cours bétonnées et quadrillées. Ressentir le monde
comme lorsqu'on découvre pour la première fois la texture d'une
chose qui nous était jusqu'alors inconnue. L'impression de renaître
après des années de semi-mort, je ne savais pas que ça pouvait
être si incroyable de naître, de vivre. Je m'arrêtais quelques
instants sur le bord d'une route déserte, humais à plein nez toutes
les odeurs qui se trouvaient dans les parages. L'air était
agréablement froid, il me piquait les poumons et les narines. Tout
me semble alors si pure, si innocent. La moi d'avant ne s'était
jamais attardée sur des choses si insignifiantes, si communes.
Respirer est la chose la plus naturelle du monde et pourtant à cet
instant précis j'avais l'impression de le faire pour la première
fois. Mais bientôt cet instant de paix et de sérénité se
transforma en questionnement. « Et maintenant ? ».
Je levais la tête, le ciel était noir, couvert. Il n'était pas
encore bien tard mais il ne faisait pas chaud. Je devais trouver un
endroit pour passer la nuit, au moins. Je continuais ma route encore
et encore. Je ne sais pas combien de temps j'ai marché, je sais
simplement que j'ai fini par arriver dans une ville. Discrètement je
me glissais dans une rue sombre, avançais encore un peu et fini par
tomber dans une impasse. Là se trouvait de grands conteneurs
d'ordures. Je fouillais dedans, trouvais des horreurs autant par
l'odeur que par la vue et le toucher et fini par découvrir des
débris de cartons assez grand pour me servir de couverture et de
toit. Enfin je me glissais derrière l'un des conteneur, coinçais un
bout de carton au dessus de ma tête et m'endormis jusqu'au petit
matin dans une position mi-assise mi-accroupi.
Je
fus réveillée par des aboiements sonores. J'avais dormi, vraiment
dormi. Je n'avais pas rêvé mais elle n'était pas venu gâcher mon
sommeil. Je me réveillais étrangement bien malgré les courbatures
dues à ma position de sommeil. Je me levais non sans mal et me
tapais les fesses pour me débarrasser de potentielles choses
collantes et crades du derrière. Je retirais le carton que j'avais
calé au dessus de ma tête et réalisais qu'il était légèrement
humide, il devait avoir plu un peu avant le lever du soleil. La ville
semblait encore calme et endormie. Je regardais autour de moi, aucune
trace de chien. Mon ventre se manifesta soudain par un bruyant
gargouillement. Ah oui c'est vrai, je n'ai rien mangé la veille. Là
encore une chose nouvelle refaisait surface, la faim. Depuis combien
de temps n'avais-je pas ressentis l'envie de manger ? Mais
comment faire, j'étais seule, sale et sans argent. Malgré ma
situation quelque peu désespérée je ressentais au plus profond de
moi une excitation qui maintenait tous mes sens en éveil. La joie ?
La peur ? Les deux ? Autre chose ? Allez savoir. Je me
dirigeais de manière hasardeuse entre les rues, ne trouvant sur mon
chemin que des ordures et des hommes à demi-mort d'avoir trop bu.
Les rares magasins des quartiers étaient fermés et quand bien même
qu'aurais-je pu y faire ? Je me posais la question en marchant
de savoir si je pouvais oser voler quelque chose sans me faire
prendre.
Moi
et ma belle éducation. Une des rares choses qui n'a pas disparu de
mon ancienne personnalité. La timidité d'abord, et ensuite la
réserve. Même dans cet accoutrement je me sentais comme les autres,
un simple être humain déambulant dans les rues. Je m'arrêtais. Non
c'est faux, je ne suis pas comme les autres, pour eux je suis folle.
Je peux donc me permettre d'avoir un comportement bizarre et de faire
des choses hors cadre sociale hein ? Oh et puis au diable les
questions à la con de bonne éducation. Je me remettais à marcher
d'un pas lent. J'ai faim. Très faim. Comme si je n'avais pas mangé
depuis des mois, ou même des années. C'est à la fois douloureux et
réconfortant. Je suis bien vivante, je ne pense pas que les morts
aient besoin de manger.
Bientôt
j'arrivais dans un quartier plus joli, plus grand et plus animé. Une
heure ou deux avait dû s'écouler depuis mon réveil. Certaines
boutiques commençaient timidement à ouvrir leur rideaux de fer,
mais il faudrait encore attendre pour qu'elles soient réellement
ouvertes. En réfléchissant je me disais que je ne connaissais pas
ces quartiers, ou du moins ils ne me disaient rien. Je devais être
dans une ville inconnue. Génial en plus d'être fauchée et à la
rue je me retrouvais dans une ville que je ne connaissais pas. Comme
quoi on finit par croire que tout à un prix en ce bas monde, même
et surtout la liberté. Faute de chance de trouver la richesse sur la
route je contemplais le paysage qui s'offrait à moi, j'apprenais et
retenais les enseignes au cas où. Juste par précaution ou les plus
marrantes, je m'occupais pour oublier le cri de mon estomac. Au bout
d'un moment j'atterrissais finalement en face d'une église, assez
imposante et je décidais, épuisée, de m'arrêter quelques instants
sur les marches. De rares passants me lançaient des coups d'oeil,
intrigués ou méfiants. Je me sentais seule et me recroquevillais
sur moi même. J'enfonçais la tête dans mes genoux, fermais les
yeux pour oublier lorsqu'une voix au dessus de moi me tira de mes
pensées. Je levais la tête et vit une vieille dame aux traits doux
et marqués me parler :
-
Eh bien ma petite qu'est-ce que tu fais ici toute seule à cette
heure et dans cette tenue ?
Déconcertée
que l'on vienne si franchement me parler, je balbutiais
maladroitement :
-
Heu… je… heu… je suis nouvelle ici et… et… je… n'ai pas
d'argent.
-
Oh mais il ne faut pas rester comme ça voyons, viens avec moi.
Le
Karma ?
-
Non ! Enfin je veux dire… je vous remercie mais je… ne vous
dérangez pas.
-
Allez allez pas de chichi, tiens je reviens du marché elle sont
toutes fraîches !
Elle
me tendit un sac remplit de pommes vertes. J'en pris une, une seule.
La gentillesse est une chose que j'avais oublié, je pensais que les
gens étaient juste des égoïstes, moi y compris.
-
Merci beaucoup.
-
Une seule ? Tu ne vas jamais tenir une journée entière avec
une pomme ! Prends en d'autres.
Elle
me tendit une nouvelle fois son sac.
Je
la regardais avec attention. Elle portait un vieux pull gris chiné
ample avec une longue jupe marron et un grand châle en laine
pourpre. Ces chaussures noires avaient mal vieillis et un verre de
ces lunettes était cassé. Une femme dans tout ce qu'il y a de plus
simple et de plus beau. Un cœur chaud. Je voulais la serrer dans mes
bras, mais je ne le ferai pas.
-
Madame gardez ces pommes, vous en avez sans doute plus besoin que moi
et votre gentillesse vaut bien plus que toutes les pommes de ce
marché.
Ça
ne me ressemble pas de sortir ce genre de phrase à la noix. Mais
c'est sorti tout seul. Moi aussi j'ai un cœur ?
La
dame parut émue, elle me fit un sourire encore plus grand et rangea
son sac de pommes avec le reste de ses courses. A la place elle me
tendit un billet.
-
Acceptes au moins ça ma petite, c'est un don du ciel que j'ai trouvé
par terre en revenant. Je ne savais pas pourquoi je l'avais trouvé
ni ce que j'allais en faire, mais je suppose que je devais croiser ta
route pour te le donner.
J'en
restais bouche ouverte. J'hésitais entre la croire sincèrement ou
la traiter de mytho. Je me souvins assez vite que je n'avais rien
avec moi et que refuser cet argent était du grand n'importe quoi. Je
pris le billet avec moi. 20€. J'étais riche pour une heure. La
vieille dame repartit avec toujours son grand sourire et son verre
cassé. Je finissais ma pomme avec délectation. Je pouvais la croire
pour la fraîcheur de ses pommes au moins.
20€.
ça devrait être une fortune. Foutaises, on s'achète quoi avec 20
euros ? Plus rien. Aujourd'hui c'est un miracle que les gens
arrivent à se nourrir tous les jours. Je restais encore un peu
assise sur les marches en pierres, dans le froid mordant du matin
levant. Je réfléchissais sur le moment présent, un certain bien
être m'étreignait. Malgré le froid insistant qui parcourait les
rues de la ville je réalisais que je n'avais pas besoin de penser
trop loin dans le temps. Puis de toute façon ça ne veut rien dire.
Personne ne vit dans le présent, on ne nous parle jamais du présent.
On parle du passé, soit en bien soit en mal. On nous parle du futur
comme d'un but à atteindre. Mais le présent… plus personne ne
sait ce que c'est. J'ai eu envie d'en finir, mais jamais je n'ai
remis en question ces bases de notre fonctionnement. J'ai envie de
pleurer ce temps perdu et en même temps de courir loin, si loin pour
vivre enfin, ressentir l'instant de vie et de liberté. Je humais
l'air avant de prendre appuis sur mes pieds. Je me tapais les fesses
et repartais en exploration d'un endroit à la fois si familier et si
inconnu. J'avais toute la vie pour décider de ce que j'allais faire,
de ce que j'allais devenir. J'étais morte et ressuscitée, qui
s'inquiéterait de ma disparition du centre ? J'étais en vie,
et seule.
La
matinée passa très vite, je marchais de rue en rue, regardant
tantôt mes pieds tantôt les alentours. La vue était d'un banal à
mourir. De grands bâtiments sans âme, de grandes tours de verres
aussi vide que ciel et des HLM à perte de vue. Encore et encore et
encore des murs gris, des graffitis d'insultes, des poubelles à
moitié crevées le long des allées, des gens qui vous ignorent…
Le monde est donc si vide de sens lui aussi ? Ou sont les belles
forêts des livres d'enfants ? Ou sont les rires, les sourires
et les chants ? Le monde est d'un triste, les villes sont des
ventres géants qui avalent l'espoir des gens. Travail, argent,
travail, argent, travail… et ce jusqu'à la mort. Voilà
l'impression de cette ville, voilà l'impression de mon ancienne vie.
Non j'en suis sûre à présent je ne suis pas folle, c'est le monde.
Et moi au milieu parmi eux, je vois désormais ce que je n'avais
jamais pu voir auparavant. Grâce à elle, à cause d'elle ? Ça
n'a plus d'importance. Comment est-ce tout ça a pu arriver ?
Bientôt j'arrivais à l'angle d'une grande avenue, là un bouchon
impressionnant de voitures. Des klaxons, des hurlements de gens en
colères, pressés, fatigués. De la fumée noire sortait de quelques
pots d'échappement. Je n'y faisais que peu attention. Ce n'était
plus une chose qui m'importait. Je passais soudain devant une vitre
sans tain, mon regard croisant le sien je m'arrêtais. Je ne pouvais
plus bouger, happée par une force calme et silencieuse. L'obscurité
s'étendait soudainement tout autour de moi. J'entendais une voix.
D'abord faible, presque inaudible comme le mur d'une goutte d'eau.
Puis lentement la voix s'amplifiait.
« Entends...Entends...Entends...Entends...Entends...moi... »
Voix
familière. Étrangement similaire… à la mienne. Je me tenais
toujours face à mon reflet, qui n'avait plus rien d'un reflet. Une
personne semblable à moi mais parfaitement indépendante de ses
mouvements et de ses mots, elle me souriait et me répétait
inlassablement « Entends ». ça n'a aucun sens. Je ne
suis pas folle… non ça ne peut pas. Ça fait si longtemps qu'elle
est auprès de moi, je m'étais habituée à sa présence mais jamais
je ne l'avais entendue. D'un coup me voilà replongée dans l'instant
présent. Une femme visiblement pressée et très occupée me
bouscule violemment et ne s'arrête même pas pour s'excuser. Je
détourne la tête et la vois tourner l'angle de la rue avec son
téléphone à l'oreille. Combien de temps s'est-il écoulé ?
Aucune idée. Désorientée je tente comme je le peux de reprendre
mes esprits. Je me souviens où je suis , pourquoi comment et le
froid. Un gargouillement sonore de mon estomac me rappelle que je
n'ai dans celui-ci qu'une pauvre pomme depuis le début de la journée
et qu'il ne s'en contentera définitivement pas. Je cherche du regard
dans les alentours un café ou je pourrai dépenser mon petit billet
toujours froissé dans la poche de mon haut. Quelques secondes me
suffisent pour apercevoir l'enseigne intitulé « Le Café de la
Rue ». Un nom évocateur, j'y dirige mes pas.
Je
rentrais timidement dans la boutique et une jeune serveuse
m'accueillit chaleureusement depuis le comptoir. Elle m'expliqua
comment le café fonctionnait et me parla rapidement des choix de
boissons. Je commande un grand café au lait avec supplément
chantilly. La jeune fille me sourit gentiment et enregistre mon
choix. « Sept euros vingt s'il vous plait ». Je lui tend
mon billet de vingt un peut gêné lui expliquant je n'ai pas de
monnaie. Encore une fois très gentiment la serveuse me sourit et me
répond qu'il n'y pas de problème. Je me retrouve avec un billet de
dix et de la monnaie sur trois euros quatre-vingts. Je m'assoies à
une table près d'une fenêtre et attends patiemment mon café. C'est
bizarre. J'avais presque oublié comment c'était de ce rendre dans
un lieu public comme un café. J'avais oublié ce que c'était d'être
traitée comme un simple être humain et plus comme une anomalie. Une
vie normale… je n'en aurai jamais plus. La jeune fille arriva très
vite et me posa délicatement le café recouvert d'une énorme couche
de chantilly saupoudrée de cacao. Ce n'était pas grand-chose mais
ça me tiendrait l'estomac pour un petit moment. Je me délectais et
dégustais cette boisson comme un suce un bonbon. Mon dieu que c'est
bon, sentir le sucré et doux de la chantilly fondre dans ma bouche,
remplacé quelques secondes après par le liquide chaud et laité du
café. Un mélange si réconfortant de tendresse, j'avais envie de
pleurer. Je me remémorais ces dernières années une fois de plus,
ces cadres froids et hostiles, les médecins et aides soignantes si
distantes. Je me souviens des autres patients, à moitié fou, ou à
moitié mort ou même les deux. Les repas infects et sans goût de
l'hôpital puis du centre. Tout ces souvenirs si douloureux balayés
en un instant par un café et un sourire… ça m'avait vraiment
manqué de vivre.
Je
prenais mon temps pour finir mon café, quelques tables plus loin
certains clients me lançaient des regards curieux, parfois méfiants
ou hostiles. Ma tenue ne devait pas franchement les inspirer. Je ne
pouvais pas vraiment leur en vouloir tant j'aurai pu être à leur
place. Je portais toujours mon horrible pyjama blanc et gris tâché
de boue et d'autres choses, j'étais pieds nus mes cheveux sales et
pendant, mon teint pâle et mes cernes ainsi que mon corps maigri de
force après ces années de torture… Oui je ne devais sans doute ne
pas être très belle à voir. Qu'importe, mon apparence ne comptais
plus pour le moment, je ne faisais de mal à personne et j'avais payé
ma consommation. Laissez moi tranquille, voilà ce que je voulais
dire à tous ces regards jugeurs. Je passais près d'une heure et
demi dans le café, en partant je remerciais le plus chaleureusement
possible cette aimable serveuse et repartais vers une destination
inconnue.
De
retour dans le froid et le gris de la ville, je ne savais pas par où
diriger mes pas. Les panneaux m'indiquaient des lieux qui ne me
disaient rien, J'optais finalement pour la direction d'un parc
naturel. Un quart de marche plus tard je m'asseyais sur un banc, un
peu à l'abri du temps. Comme si le ciel avait prévu cette farce, la
pluie ne tarda pas à arriver. Je me recroquevillais comme je le
pouvais mais je finis tout de même par me réfugier sous un porche.
Là je m'accroupis en soupirant. Avec un peu de chance il
s'arrêterait de pleuvoir assez tôt pour que je trouve un coin pour
passer la nuit. Il était encore tôt dans l'après-midi, peut-être
seize ou dix-sept heure mais je ne voulais pas prendre le risque de
passer la nuit à la belle étoile. Mais la pluie ne s'arrêtait pas,
pire encore elle semblait s'intensifier de minute en minute. Je
commençais à perdre un peu espoir, je somnolais un peu, la faim et
le froid n'aidant pas. Je fus réveillé brusquement par un bruit de
pas lourd et un claquement de vêtements mouillés. Je levais la tête
un peu sonnée et apercevais un homme, plutôt grand habillé de la
tête au pieds en noir, assez glauque. Il portait un bob étanche
noir lui aussi et une paire de lunette ronde… noire. On se serait
cru dans un jeu vidéo bizarre ou dans un film américain. Vous savez
le genre de type qui sonne à votre porte pour vous annoncer la fin
du monde ou un truc du genre. Je détournais la tête et me serrais
dans la direction opposée, avec un peu de chance il ne m'avait pas
vu.
« Vous
allez attraper froid à rester assise par terre dans cette tenue. »
(Zut).
Il m'avait bel et bien remarqué. Je ne savais pas quoi répondre,
alors je préférais ne rien dire. Il finirait bien par partir.
« Qu'est-ce
qu'une jeune femme fais toute seule dans un parc, habillé d'un
simple pyjama ? »
Sa
voix était grave et posée. Plutôt belle. Mais je ne savais pas
quoi dire, je cherchais une réponse assez satisfaisante pour qu'il
me laisse tranquille mais je ne savais pas quoi. « Hey bonjour
alors oui je sais ma tenue est un peu bizarre, m'en voulez pas je
sors d'un asile. ». Mouais… non moyen comme idée pour passer
inaperçue. Voyant que je ne disais toujours rien, l'inconnu sortit
un paquet de clopes et en alluma une.
« Généralement
quand les gens ne répondent pas c'est qu'ils ont un truc à
cacher. »
« Laissez-moi ».
C'était sorti tout seul.
« Aah,
alors la demoiselle sait parler on avance. »
« Laissez-moi ! ».
Je me recroquevillais encore un peu sur moi, je ne savais pas quoi
faire ni ce qu'il voulait, la peur commençait à me monter à la
gorge.
« Hey,
n'ais pas peur comme ça je ne vais te manger. »
« Vous
ne m'inspirez pas confiance. ». Ok j'y étais allée un peu
fort, mais c'était la vérité.
Il
éclata de rire. Un rire grave et franc.
« C'est
la première fois qu'on me dis ça aussi franchement ! Tu n'es
pas d'ici toi hein ? »
« ça
ne vous regarde pas. »
« Et
si ça me regardait tu me le dirais? »
« C'est
idiot comme question. »
« Hmm
oui c'est vrai mais je suis de nature curieux et tenace, tu devrais
parler ça te ferait du bien. »
« Je
ne dis pas de choses personnelles à des inconnus. »
«
Oh. Oui c'est compréhensible. Mais ne t'en fais pas tu n'as pas
besoin de me dire quoique se soit, j'en sais assez comme ça. »
« Qu'est-ce
vous voulez dire ? ». Je levais la tête vers lui soudain
intriguée par sa dernière réponse.
Il
sourit, un sourire sombre et incroyablement mystérieux.
« Daniella
Vinelli, 26 ans, 1m68, né le 26 avril 19XX, envoyé à l'hôpital
psychiatrique Wollfork pendant deux ans puis à Wellow Down un an
avant de disparaître mystérieusement de celui-ci avant-hier soir. »
J'en
reste bouche ouverte. Comment c'est possible ça ? C'est une
blague ! C'est qui ce type et comment il sait tout ça ? La
peur m'envahit, et si c'était quelqu'un envoyé pour me ramener au
centre ? Jamais ! Je préfère encore mourir de faim et de
froid que de revivre tout ça. Les larmes me montent aux yeux, je
veux m'enfuir. Non, je le dois, question de survie temporaire. Je me
lève aussi vite que je peux et commence à courir. Je cours à en
perdre halène, comme si ma vie en dépendait. Ce n'est pas
totalement faux. Je trébuche, tombe et me relève en un fraction de
seconde. Une fraction trop tard. L'homme m'a couru après, il
m'attrape et me serre contre lui je ne peux plus bouger.
« N'ai
pas peur Daniella, je ne te ramènerai pas là-bas. »
Mensonges.
« Vous
mentez !! Comment pouvez-vous me connaître si vous n'êtes pas
de chez eux ?! »
« Si
tu me suis je t'expliquerai tout je te le promet. »
« Non
je ne veux pas !! je ne veux pas ! »
Je
tente par tous les moyens de me défaire de son emprise, mais je suis
une mouche engluée dans une toile d'araignée. Il est fort, grand et
je suis épuisée. Au bout d'un moment j'abandonne, respire
bruyamment pour retrouver un rythme cardiaque à peu près normal.
« C'est
bon tu t'es calmée ? ». Sa voix est froide, agacée.
J'ai
envie de le gifler, si je ne me trouvais pas dos à lui c'est ce que
j'aurais fait.
« Lâchez-moi. »
« Je
ne vais pas prendre le risque. »
Malgré
moi je laisse échapper un petit rire grinçant. Il pleut toujours,
je suis trempée mais ça n'a aucune importance. Je ne sens plus mes
pieds… je suis épuisée.
Lentement
je m'affale contre l'inconnu, j'ai du mal à respirer. Il me soulève
et je finis en mode princesse dans ses bras. Je suis sale je pue et
suis trempée, adieu scène romantique. Boh puis de toute façon je
le connais pas.
« On
va aller se mettre à l'abri ok ? »
« Si
vous espérez que je vous donne mon accord… allez vous
faire...voir... »
« Méfiante
jusqu'au bout hein… Rassures-toi ce n'est pas moi qui est décidé
tout seul, je pense que tu seras heureuse de savoir que des gens
t'observe depuis un moment. »
C'était
sensé me rassurer ça ? Parce-qu'il vient de rajouter une
couche d'angoisse.
« Quoi ? »
« Rien
oublie ».
Alors
qu'il commence à marcher me trimballant toujours dans ses bras, je
puise dans mes dernières forces pour m'éjecter de son emprise. Nous
tombons tous les deux par terre, je l'entends jurer et en profite
pour filer. Cette fois je constate avec soulagement qu'il ne me suit
pas. Mais ça ne me rend pas tranquille pour autant. Moi qui avait
pensé être libérée j'apprends qu'on m'observe depuis tout ce
temps… Sérieux c'est flippant, mais à part ça c'est moi la folle
dans l'histoire ? J'aurai presque envie de rire. Après avoir
longtemps tourné en rond je finis par trouver un pont. Oui bon c'est
pas terrible mais les arches me protèges de la pluie et il reste
quelques cartons d'un précédent passage. Je me couvre autant que je
peux et me prépare à passer une nuit courte et sans rêve.
Mon
sommeil fut périodique et désastreux. Je me levais avec des
courbatures partout après avoir passé la nuit à somnoler et me
réveiller . Le froid mordant était toujours présent mais un
soleil brillant naissait à l'horizon. Il allait faire beau. Je
repensais à cette drôle de rencontre hier aprem et plus j'y pensais
plus je trouvais que la coïncidence entre mon arrivée et cette
rencontre n'avait rien de hasardeux. La faim me rappela me état
pitoyable de mendiante. Mes vêtements étaient encore froids et
humides et un rhume commençait gentiment à me chatouiller les
narines. Je passais encore deux jours à dormir sous ce vieux pont.
La journée je restais dans les alentours et fouillais les poubelles
ou mendiait un euro ou deux à quelques passants.
Le
lendemain de mon troisième jour sous mon nouveau toit je réalisais
avec fatigue et anxiété que je devrais sans doute changer d'endroit
avant qu'un autre homme bizarre débarque pour m'emmener je ne sais
où. Je reprenais ma route avec un carton assez grand pour servir de
couverture. Les nuits étaient froides mais lentement elles
devenaient moins mordantes. Mes pieds étaient rouges, presque
violets, le froid avaient fini par avoir raison d'eux. Qu'importe je
devais avancer. Je marchais le long des rues sales et mornes croisant
les vies de dizaines d'inconnus que je ne reverrai sans doute jamais,
et croisant à l'occasion mon reflet dans les vitres des boutiques du
quartier. Pauvre chose si faible et si sale. C'était moi, et en même
temps je savais que derrière cette image imaginaire se trouvait une
autre personne. D'ailleurs ça faisait plusieurs jours que je ne
l'avais pas vu ni qu'elle ne s'était manifestée. Ce silence de
présence coïncidait là aussi étrangement avec ma rencontre avec
cet inconnu vêtu de noir. J'ignorais tout du monde, de moi et de
l'avenir. Envie de pleurer, à quoi bon pleurer ? Les jours
heureux ne reviendront pas. Je suis seule, tellement seule. Je
renifle malgré moi, le rhume aidant sans doute à rendre mon
apparence plus misérable encore. Mais j'avance tout de même, je
cherche et finis par m'installer dans une petite impasse, pas assez
loin du pont mais assez loin du parc. Demain j'essaierai d'aller
ailleurs, de changer de ville et tant pis si je dois passer trois
jours à dormir sur la route. Je m'abreuverai de la pluie et des
ruisseaux alentours. Je survivrai. C'est étonnant. Est-ce vraiment
moi qui souhaite survivre ? Je ne sais plus où j'en suis.
« Et
si tu prenais ma place Allos, qui me regretterait ? Peut-être
que tu mérites plus que moi de vivre dans ce monde. »
Accroupi
sur mon carton, j'enfouis ma tête dans mes genoux. Je suis folle,
folle et seule. Un beau mélange. Si j'étais restée là-bas,
j'aurais continué à prendre ces foutus pilules, j'aurais continué
à dormir toute la journée, à ne plus savoir ce que c'était que
d'avoir faim ni à quoi ressemble un brin d'herbe. J'aurais sombré
dans la folie du désespoir et j'aurais fini par me pendre dans ma
chambre avec les draps du lit. C'était un fin plausible, presque
réconfortante. « Je ne suis pas si forte Allos, pas autant que
toi. ». Au fond de moi je savais, seule je n'aurais jamais pu
partir. Dans la ville des cités, les sanglots d'une âme perdue dans
les méandres du désespoir résonnaient entre les immeubles.
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